Tonio est un jeune adulte de 35 ans d’origine guatémaltèque popti. Avec Brenda sa femme, ils ont une petite fille Yulissa de 6 ans.

Il est né au Guatemala, sa maman était très engagée dans la guérilla pour faire valoir leurs droits . C’est au cœur de cette lutte qu’elle a connu son mari, le futur papa de Tonio, combattant fortement impliqué.

.

Lors des violents affrontements avec l’armée,  le papa a du mettre à l’abri sa femme dans un camp de réfugiés, côté mexicain au Chiapas. Carlos le grand frère de Tonio est né dans ce camp. Deux ans plus tard, c’était au tour de Tonio de naître sur les terres du Guatemala . Puis les parents se sont séparés et les enfants sont restés vivre avec leur maman dans des conditions effroyables de pauvreté . A 7 ans, Tonio et son frère se levaient à 4h du matin. Après avoir mangé une boulette de tamal faite de farine de maïs pour seul repas de la journée,  leur maman les envoyait dans les champs pour travailler ou chercher de l’eau à 1 h de la maison. Puis ils prenaient la direction de l’école de 9h à midi . En fin de journée, ils repartaient dans les champs de café jusqu’à la nuit tombante pour travailler. Avant d’aller se coucher,  une bougie les éclairait pour faire leurs devoirs, il était déjà 9h du soir . Et le lendemain leur quotidien recommençait. La vie était très dure. Il se souvient de la faim qui tiraillait leur ventre; leur maman n’hésitait pas à se sacrifier pour qu’ils aient au moins quelque chose à manger. 

Vers l’âge de 12 ans,  ils sont partis seuls au Chiapas, ils avaient appris que des terres y étaient redistribuées. C’était le début du mouvement zapatiste. Ils se sont retrouvés dans une communauté proche de la frontière du Guatemala, au sud du Chiapas. Ils ont commencé à cultiver leur petit lopin de terre pendant un an et demi. 

Tonio et Carlos rêvaient de pouvoir  y Construire un jour une maison pour pouvoir vivre correctement et  permettre à leur maman d’être à l’abri. Ils ont travaillé dur et c’était difficile . Les enfants ont convaincu leur maman qui entre temps avait retrouvé un compagnon de venir les rejoindre dans cette communauté pour qu’elle puisse au moins cultiver sur cette terre. Celui lui permettrait d’avoir ainsi quelque chose dans son assiette. Mais les conditions restent difficiles, la météo aléatoire ne permet pas d’envisager des économies pour concrétiser ce rêve . Avec son frère, Tonio a imaginé partir 2 années aux USA. Ils pourraient ainsi gagner suffisamment  d’argent pour construire une maison pour chacun et une pour la maman . 

S’exiler clandestinement aux USA coûte très cher. 1500-2000€ à  l’époque (années 90-2000)… aujourd’hui 5000-6000€ ..Comment faire pour financer un tel voyage quand on a rien en poche? Il existe des « prêteurs », riches propriétaires qui avancent les fonds. Ils sont tellement influents avec les avocats que si le remboursement de la dette ne se fait pas, ils se retourneront contre le reste de la famille restée à la communauté et peuvent leur reprendre leurs terres.  Le drame des premières années consiste d’abord à rembourser les dettes contractées.

Tonio et Carlos sont finalement partis et accompagnés d’un passeur, ils ont essayé de passer la frontière américaine dans le désert. C’est très laborieux. Il faut attendre le jour J , le bon moment, être constamment en mouvement pour ne pas se faire prendre par la police américaine, pire encore être la cible d’américains qui «s’amusent » avec leurs armes pour tirer sur les migrants clandestins …

Mais cela s’est mal passé. Le groupe avec le passeur a du se disperser. Pendant plus d’une journée, Tonio s’est retrouvé avec son frère dans le désert dans un endroit complètement inconnu, errant pendant plus d’une journée sans eau ni nourriture. Ils ont essayé de retrouver leur chemin pour rentrer. Tonio a du soutenir son frère très éprouvé psychologiquement. Dès qu’ils ont retrouvé leur chemin, leur ultime solution pour survivre a été d’aller se livrer auprès de la police américaine. Ils ont alors été violentés, menottés aux pieds et mains, poussés dans un fourgon direction la prison. Ils ont été incarcérés puisqu’ils avaient passé illégalement la frontière . Les conditions de détention étaient très éprouvantes car il y a énormément de racisme envers les migrants . 

Après une semaine d’emprisonnement, tous les migrants prisonniers ont été rapatriés par avion dans une grosse ville mexicaine en frontière. Arrivés en pleine nuit dans cette ville inconnue, Tonio et Carlos ont trouvé une cafétéria pour patienter jusqu’au lever du jour avec 50 pesos en poche (2,50€)… juste assez pour se partager un café en attendant le lever du jour. Objectif de la journée : informer leur famille et retrouver le passeur pour lui expliquer qu’ils étaient à nouveau à la case départ.  Alors qu’ils étaient en train de déambuler à la recherche d‘une cabine téléphonique, ils ont été interpellés par la police mexicaine qui n’a pas cru à leur histoire. Elle les a embarqués dans le fourgon, entassés avec d’autres, direction la prison à nouveau, mais cette fois-ci prison côté mexicain. Le lendemain en file indienne, Tonio et son frère sont passés devant une juge qui au vue de leurs explications, les a libérés.

Mais Tonio ne retrouve pas son frère à la sortie de la prison. Ils avaient pourtant convenus de s’attendre à l’extérieur. Mais pas de Carlos à l’horizon. Des policiers lui répondent que ce dernier est parti faire des courses, ce qui est invraisemblable, Carlos n’ayant aucun pesos en poche. D’autres témoins lui expliquent qu’ils ont vu la police l’embarquer…Un coup de fil au passeur et Tonio lui explique que si son frère l’appelle (c’est le seul relais qu’ils aient en commun), Tonio lui fixe RV devant une banque de la ville. 

Il finit par retrouver son frère, molesté par des policiers qui lui avaient volé sa montre. Ils n’ont pas pu le rançonner car Carlos n’avait pas de numéro de téléphone d’un éventuel membre de la famille vivant aux USA. C’est malheureusement des aléas fréquents sur le parcours de migration clandestine: des policiers corrompus contactent un membre de la famille qui vit aux Etats Unis et exigent une rançon pour relâcher le migrant…

Tonio retrouve son frère en état de choc, en plein stress, qui veut absolument rentrer à la maison. Plus question de se rendre aux États Unis. Tonio fait face à une situation très difficile. Ils s’étaient promis de ne jamais se séparer…C’est leur rêve d’aller passer quelques années aux USA pour gagner de l’argent et revenir dans leur communauté afin d’y construire une maison et vivre mieux grâce à cet argent collecté.

Tonio décide de retenter le passage pour poursuivre leur rêve. (Le passeur a moralement l’engagement de faire passer le groupe de clients)

Après 10 jours de marche très difficile à travers le désert, à essayer d’échapper à tous les contrôles, à tous les risques, Toño a réussi. Il a finit par arriver dans une ville de taille moyenne au nord de Sacramento, suffisamment éloigné de la frontière pour être moins inquiété par les contrôles de la polie d’immigration. Carlos de son coté est rentré à la communauté. 

Tonio est finalement resté près de 4 ans et demi. Seul, il a du travailler le double pour concrétiser leur rêve. Il a enchaîné beaucoup de petits boulots dans des restaurants, en démarrant avec la plonge. La législation américaine limite à 8h par jour avec possibilité d’1h en extra. Mais pour des personnes sans papiers, toutes les heures supplémentaires sont réglées «au noir». Les horaires de Tonio sont impressionnants : quotidiennement de 9h du matin à 3h du matin! Il travaille alors sur 2 restaurants et est rémunéré 7-8 $ / heure alors qu’un employé américain est payé 15$ /heure…le double !  

Au fil du temps,il a aussi appris à servir, gérer le restaurant et du coup à pu augmenter son salaire à une douzaine de dollars de l’heure.

Pour économiser un maximum, il s’est trouvé une petite chambre. L’argent qu’il envoyait régulièrement à sa maman et à son frère leur a permis d’acheter un second « droit à la terre ». Ils ont pu construire 3 toutes petites maisons : 1 pièce avec des briques et du ciment soit 10 000€ quand même! 

Tonio est rentré à la communauté avec de maigres économies, 16 000 pesos .Mais pas de chance cette année-là, les conditions météo ont été défavorables et la récolte de leur lopin de terre ne leur a rapporté que 8 000 pesos alors que la parcelle avait coûté 16 000 pesos. Grâce à cette émigration clandestine, Tonio a pu améliorer les conditions de vie de sa famille mais encore loin d’être un paradis.

Durant ces années passées, Carlos avait rencontré l’ONG Madre Tierra et fait connaissance de Julio. Tono a ensuite rejoint l’organisation sociale de l’OPEZ, s’est formé et est devenu promoteur, responsable des ateliers, travaux au niveau des communautés. Les deux frères sont très investis dans l’ONG qui leur permet d’avoir un petit salaire.

Tonio y a rencontré sa femme Brenda et ils sont parents de Yuli.

« Il faut que l’on change nous-même pour avoir un monde meilleur »

Tonio

Mais 10 ans plus tard, Tonio fait l’amer constat de voir que les conditions de vie de ses compatriotes et des enfants ne sont pas meilleures. « Il y a des richesses dans le monde mais il faut que l’on change nous-même pour avoir un monde meilleur » explique t’il.

Il estime qu’il y a trop de personnes égoïstes dans sa communauté, . Il ne s’agit pas d’égoïsme au sens partage, car la solidarité entre indigènes existe. Elle est même la base de la survie. Mais il entend par égoïsme le fait que les personnes, qui sont tellement « imprégnées de leur religion » ne se mobilisent pas, ne sortent pas de la communauté pour aller manifester, pour revendiquer leurs droits. Elles s’en remettent à leur fois pour supporter les injustices quotidiennes. Avec son épouse Brenda et d’autres promoteurs, appuyés par Madre Tierra, ils essaient de bousculer cet état de fait. 

Dans sa communauté où vivent 50 familles, 4 religions coexistent : catholiques, pentecôtistes, évangéliques et  protestants, ce qui génère énormément de divisions. Seuls  les catholiques de la Théologie de la Libération permettent d’offrir une ouverture à travers un dieu libérateur, un droit à revendiquer de meilleures conditions de vie. 

C’est tout un travail de fond mené auprès des adultes, à présent développé auprès des adolescents et enfants pour favoriser une prise de conscience, les rendre responsables, les préparer à la relève…

Il y a encore beaucoup de chemin à faire mais Tonio puise sa force dans son engagement et son optimisme

Tonio est un homme humble, modeste. Quand il raconte son chemin de vie, toute sa souffrance vécue transpire dans ses mots. Mais aucune violence dans ses propos, un amer constat… Et en même temps l’espoir ne le quitte jamais. Même si son idéal auquel il rêve n’est pas atteignable maintenant, rendre le monde meilleur reste possible aujourd’hui.

Je reste bouleversée, très impressionnée d’entendre un tel témoignage, de ressentir son profond engagement. Cela me ramène à ces témoignages forts comme celui de Spunky à Manille, ou d’un jeune adolescent africain de 17 ans qui avait fuit son pays d’Afrique pour atteindre l’Alsace .

Quasiment tous les migrants mexicains sont originaires du Chiapas, Etat le plus pauvre du pays. Migrer aux USA, ou rejoindre les gangs de drogue sont les seules issues pour se sortir de cette extrême pauvreté…Eux rêvent d’un monde meilleur, d’une vie équilibrée . Heureusement Madre Tierra les épaule dans cette recherche d’une vie meilleure en leur donnant les outils.

Tonio est arrivé à 25 ans dans l’association, très timide. Il avait beaucoup de mal à s’exprimer, prendre la parole en groupe , se présenter. Et il a tellement travaillé sur lui-même qu’il a réussi à exprimer sa personnalité. Il a beaucoup d’aplomb, intelligent même s’il nous explique qu’il a quitté l’école en 6° tout comme son frère qui en est sorti en 4°. 
Tonio déplore le système scolaire mexicain, qui procède uniquement par répétition, qui ne développe pas la pensée, ne stimule pas l’esprit critique. Sa fille Yuli a besoin d’apprendre les bases à l’école primaire mais cela ne suffit pas pour contribuer à l’épanouissement d’un enfant, pour qu’il soit pleinement auteur et acteur de son futur.

A son tour, Gloria évoque son oncle qui vit maintenant depuis 15 ans aux USA pour aider sa famille et la communauté au Guatemala. Il avait alors 19 ans quand il a émigré. Il était marié et venait d’avoir un bébé. Mais au bout de 5 ans, sa femme a divorcé et il n’a jamais revu son fils depuis. Un immigré clandestin ne peut pas effectivement revenir dans son pays. Car après ce ne serait  plus possible de retourner aux USA ou alors très très compliqué. L’oncle de Gloria enchaîne des petits boulots un peu partout. Et  même si c’est dur, même s’il a envie de rentrer au pays, même si sa maman lui dit « Rentre sinon tu ne me reverras plus! », il continue…

Difficile cas de conscience, s’il rentre, il n’y aura alors plus d’argent qui profite à la toute la famille. Grâce à lui, sa maman a pu construire une maison dans laquelle Gloria a d’ailleurs grandit. C’est un cercle sans fin…il vit seul exilé, travaille beaucoup et leur permet d’avoir une vie un peu meilleure…

La lutte de la guérilla mêle des causes sociales, économiques, politiques et ethniques. Le conflit a fait plus de 100 000 morts, des dizaines de milliers de disparus et 1 million de déplacés. Une étude a montré que 93 % de ces violences ont été le fait du gouvernement, 3 % des guérilleros et 4 % par des acteurs non-identifiés. Après la 2° guerre mondiale, le gouvernement du Guatemala menait une politique de réduction des inégalités sociales via une réforme agraire. mais United Fruit Company , énorme compagnie américaine qui contrôle l’exportation des bananes, 2°produit d’exportation du pays), ainsi que les grands propriétaires terriens (2 % de la population possède 70 % des terres) se sont opposés à cette politique. La CIA a soutenu un coup d’État en 1954.

Quelques sous-officiers se sont rebellés en 1960 en vain. Certains d’entre eux sont alors partis alors se cacher dans la forêt en établissant des contacts avec Cuba. Ce groupe de militaires finit par former le noyau de la guérilla qui s’opposa au gouvernement central jusqu’aux accords de paix de 1996.À la différence d’autres guerres civiles de la région (El Salvador, Nicaragua), le conflit au Guatemala se caractérisait en partie par le racisme à l’encontre de la population maya majoritaire et de la peur historique des élites dominantes de voir la population indigène accéder à une pleine citoyenneté. En conséquence, 80 % des victimes étaient d’origine indigène.Le Guatemala est l’un des pays le plus pauvre au monde. Seul pays d’Amérique latine à voir son taux de pauvreté augmenter depuis 2000, ce qui concerne 67 % des Guatémaltèques, dont 87 % des indigènes.

   Envoyer l'article en PDF   

Leave a comment