« Petit bout de femme » maya avec une immense soif d’apprendre !

Nous avons la chance de partager notre séjour de 10 semaines avec Gloria. Elle est née dans une communauté maya Popti sur les hauts plateaux de café du Guatemala, en bordure de la frontière mexicaine. Elle est malheureusement devenue orpheline de sa maman à trois ans quand cette dernière allait accoucher d’un second enfant. Elle est décédée d’anémie. Les conditions de vie sont rudes, la pauvreté génère beaucoup de décès prématurés faute de soins. Gloria a alors été élevée par sa grand-mère. Ses grand-parents l’ont plutôt épargnée par les tâches agricoles. Gloria a grandi au cœur de cette communauté.

Bonne élève, ses enseignants l’avaient encouragée à poursuivre sa scolarité au collège de la ville voisine. Mais sa grand mère n’a pas voulu la laisser partir de peur qu’elle change… enfin plutôt peur qu’elle se retrouve enceinte trop jeune…Gloria est donc restée à l’école du village où l’éducation était très médiocre. Dans les campagnes, il manquait des enseignants et ils étaient de surcroit très peu qualifiés. Ils avaient souvent eux-mêmes quitté l’école à 15 ans.

Au côté de ses copains et copines de la communauté, Gloria a traversé son enfance en jouant aux jeux traditionnels comme « au papa et à la maman » avec des poupées de chiffon. A Noël ou aux anniversaires, il n’y avait pas de cadeau ou exceptionnellement une petite attention,  s’il y avait assez d’argent pour acheter un « petit quelque chose » . A noter que Gloria très belle jeune fille avait été élue Miss de sa communauté !

A l’âge de 16 ans, Gloria s’est intéressée aux ateliers proposés par Madre Tierra avec Herlinda, promotrice de l’ONG au sein de sa communauté. Nous avions rencontrée cette dernière à Strasbourg lors du week end des peuples racines.  Herlinda, jeune femme d’une trentaine d’années avait traversé l’Atlantique pour la première fois, accompagnée d’Hélène, membre fondatrice de l’association Madre Tierra . Hélène assurait la traduction au public des propos d’Herlinda lors de ce forum. Nous avions alors partagé un atelier autour d’un rituel maya d’offrandes, ce qui nous avait permis de faire connaissance.

 

Avec Herlinda et Hélène à Strasbourg – Mai 2019

 

 

 

La langue natale de Gloria est le maya popti. Elle a bien appris l’espagnol à l’école, qui est la langue d’enseignement. Mais comme elle le parle peu au sein de la communauté, son niveau n’est pas très élevé. Au moins nous arrivons à nous comprendre, aucune de nous n’ayant un langage très soutenu en espagnol! 

Il y a 6 mois , Gloria a décidé de quitter sa communauté donc le Guatemala. Elle a traversé la frontière mexicaine pour rejoindre Madre Tierra à San Cristobal, inspirée par Herlinda. Devenue une « campagnera», son désir le plus profond est d’apprendre et se former à un bon niveau pour travailler avec l’ensemble des communautés.

Lorsqu’elle est partie, il lui a fallu beaucoup de courage pour dépasser les regards désapprobateurs de sa famille et de la communauté. Le destin d’une jeune fille maya n’est pas de quitter son lieu de naissance. Son avenir était déjà tracé dans la tête de sa famille: le mariage aurait dû être prochainement arrangé suivi d’enfants …. beaucoup d’enfants … Elle aurait du aller travailler durement dans les champs de café, veiller à se débrouiller pour assurer un minimum de survie alimentaire , ceci tous les jours de l’année et toutes les années de sa vie …. Oui une vie difficile de lutte l’attendait pour essayer tant bien que mal d’améliorer l’ordinaire , d’offrir à ses futurs enfants une éducation dans l’espoir qu’ils s’en « sortiraient » et vivraient mieux que leurs parents …. Une vie d’une femme, maman qui ne pèse pas sur les décisions du couple, voire qui doit éviter la pluie de coups, quand le mari dépité par les conditions de vie s’enivre pour fuir cette dure réalité …que la violence conjugale devient  le révélateur d’une vie insupportable ….

Gloria est très jeune, 23 ans. Elle pourrait être notre fille . Mais aussi petite (caractéristique du peuple maya) et fragile en apparence qu’elle est,  elle OSE et assume son avenir ….

Pourtant à son arrivée chez Julio  et Hélène, cette jeune femme aux beaux cheveux longs est très timide. Ils la prennent sous leurs ailes et la magie de sa transformation va s’opérer sous nos yeux ….Quel privilège d’assister à la transformation de la chrysalide en un magnifique papillon! 

 

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Comment passer d’une jeune fille aux cheveux longs, timide, introvertie , dans l’incapacité de se présenter à un étranger, de lui dire son prénom, de tenir tête à un homme … à une jeune femme affirmée bien dans ses baskets, curieuse, capable de chanter en public , d’apprendre les règles d’hygiène de vie occidentales à vitesse grand V ….

 

C’est certain qu’il y a eu beaucoup d’exigences de la part de Julio et Hélène au début et parfois des résistances de la part de Gloria, quoi de plus naturel… 2 mondes tellement différents qui se côtoient. Faire, défaire, refaire ce qui n’a pas été réussi…un apprentissage qui lui demande beaucoup de résilience. Mais Gloria a DÉCIDÉ pour elle même et s’est mis à ingurgiter tout ce qu’on lui proposait ! Tellement motivée, elle a manifesté une grande soif d’apprendre de nouvelles choses à grande vitesse!

Dans le quotidien, nous échangeons nos recettes : recette du gâteau au yaourt contre recettes du Guatemala… C’est elle qui nous forme, nous explique les règles de la maison…nous devenons ses élèves !

Pour marquer son engagement dans cette transformation intime, Gloria coupe ses longs cheveux, une nouvelle étape dans sa détermination à envisager son avenir hors des codes traditionnels, se sentir l’égale de l’homme.

 

Se lancer à vélo !

Nous partons souvent faire un tour dans la forêt environnante avec Gloria, équipée d’un VTT à sa taille. Rapidement elle maîtrise l’engin sur terrain plat. Apprendre à changer les vitesses, descendre des pentes abruptes, relève d’un nouveau challenge et passe par quelques chutes heureusement sans gravité. Prendre de l’assurance sur le vélo est une des nombreuses clés qui amène Gloria à gagner progressivement la confiance en elle-même.

 

De même lorsqu’elle prend le volant du pick up sur les pistes….un petit bout de femme au volant d’un monstre ! Sérieuse et pleine de volonté, Gloria progresse sur les conseils de Julio et Hélène. Elle pourra ainsi passer son permis de conduire et relayer Julio lors des déplacements vers les communautés . 

Apprendre à jouer à des jeux de société , aux  échecs ….manier également la pioche et pelle dans le jardin, crapahuter sur les toits pour réparer l’étanchéité , grimper aux arbres pour cueillir des fruits ….Ou encore se former à utiliser PowerPoint pour faire une présentation aux membres de l’ONG, jongler avec Excell pour la comptabilité de l’ONG …autant de défis qu’elle enchaîne avec ténacité.

Incroyable adaptabilité dans toutes les circonstances. Même avec la langue française, elle nous épate par sa facilité à retenir des petits mots !  A son tour, elle me corrige dans mon apprentissage de l’espagnol !

Petite anecdote à propos du permis mexicain: Au Mexique, il est vraiment préférable d’avoir de l’expérience de conduite sur le terrain . Il suffit effectivement de se rendre dans une auto-école avec des pesos pour acheter son code et permis sans passer d’examen officiel !!! Incroyable ! 

Fabrication des masques 

J’ai plaisir à redevenir une élève avec Gloria. Elle m’explique comment on va fabriquer des masques de protection  en acétate, destinés au personnel de la clinique de Madre Tierra. Elle a pour objectif de compiler des photos pour réaliser un tutoriel qu’elle distribuera aux companeros pour qu’ils puissent à leur tour fabriquer des masques en cas de besoin, de manière autonome. Je fais la photographe et l’accompagne dans ce travail. Ce n’est pas évident pour Gloria de dissocier les tâches, l’enchaînement des séquences, expliquer le processus de fabrication, manipuler les mesures, les additions… mais elle s’en sort pas mal pour une première ! Bravo! 

Comme nous commençons à être rattrapés par l’épidémie de Covid, Gloria a préparé un PowerPoint sur le sujet qu’elle présente pour la première fois à l’équipe du bureau de Madre Tierra.  Ensuite elle sera chargée de le diffuser sur le terrain au cœur des communautés pour sensibiliser les populations aux gestes barrières et leur expliquer comment fabriquer des masques . 

 

 

 

 

Triste nouvelle pour Gloria…les funérailles de sa grand-mére

Gloria vient d’apprendre que sa grand-mère Candelaria  âgée de 70 ans a fait un malaise alors qu’elle cueillait du café sur les plateaux du Guatemala. Les symptômes laissent penser à un AVC. Sa famille la transporte en voiture à l’hôpital, situé à 1 h de route de la maison. La vieille dame est dans le coma. 3 jours d’hôpital représentent un an de salaire. Au vue de l’ état général, la famille renonce à faire le scanner de la tête… Qu’est ce que cela changerait à son état de santé ? Engager de l’argent qu’ils n’ont pas ? Que faire ? Finalement ses enfants ramènent la grand-mére à la maison sous perfusion . 

Expérience très douloureuse pour Gloria qui ne peut se rendre au chevet de sa grand-maman au Guatemala pour cause de coronavirus: obligation d’une vraie quarantaine de 40 jours avant de pouvoir rejoindre sa communauté. Ce sera trop tard…

Les croyances de la  communauté empêchent Gloria de parler directement à sa grand mère, même par téléphone et encore moins par vidéo Whatsapp. Elle reçoit des nouvelles par sa tante et peut parler un peu avec son grand-père qui est sous le choc. Puis quelques jours plus tard, Candelaria s’endort pour poursuivre son chemin dans les étoiles…

Tout la communauté, famille et voisins vont à la maison familiale pour rendre une dernière visite à Candelaria. Elle sera enterrée le lendemain avec une cérémonie religieuse catholique. Puis une procession se fera jusqu’au cimetière situé à une heure de marche. Quelques appels Whatsapp permettent à Gloria de partager les funérailles de loin.

 

Soirée d’accompagnement de Gloria

A la maison, Julio et Hélène ont mis en place un petit autel à côté de la cheminée du salon. Gloria a imprimé une très belle photo de sa grand-mère . Bougies, fleurs du jardin et encens accompagnent le feu crépitant de la cheminée . Une atmosphère de recueillement enveloppe la pièce. Gloria lit à haute voix un texte d’adieu qu’elle a écrit en popti . Elle lui transmet tout ce qu’elle aurait aimé lui dire à son chevet. Elle le relit en espagnol … Les mots s’envolent et iront rejoindre Candelaria dans l’au-delà.  Chacun de nous lui partage un message. La fleur restera le lien avec sa grand-maman car elle adorait les fleurs! 

Belle soirée d’accompagnement intime avec beaucoup d’humanité, de soutien, de compassion, d’amour, d’émotions mais aussi d’humour … le sourire de Gloria et la photo de Candelaria seront à tout jamais gravés dans nos mémoires… Quelque part dans les airs résonne un écho avec le départ récent de mon papa, tout cela en parfaite sérénité ….

Gloria passera toute la nuit près de cet autel  à continuer à parler avec sa famille au téléphone et poursuivre son dialogue intérieur avec sa grand- maman. Au Guatemala, à 4-5 heures de route de San Cristobal, l’ensemble de la famille, le voisinage s’est rassemblé pour veiller la grand-maman toute la nuit. Chacun a apporté quelque chose à partager : pain, fruits, gâteaux… Gloria a pu vivre à distance le départ de sa grand mère pour de nouveaux horizons. Se mêlent des croyances religieuses catholiques de son enfance, des traditions mayas  et son actuel questionnement de tous ces rituels par rapport à sa propre évolution .

 

Une belle amitié au delà de la langue…

Quel plaisir de travailler dans le jardin à ses côtés. Gloria me « coache », rôle inversé…je deviens élève ! Elle m’explique comment repiquer des plantes , utiliser des outils comme la machette ….Nous passons des heures à transformer le jardin, préparer les repas ensemble, rien de mieux pour pratiquer l’espagnol et progresser ! Gloria est curieuse de notre expérience de voyage, nos conditions de vie en France … Elle aime partager également sa vie du Guatemala.

Gloria découvre les jeux de société et plus particulièrement les échecs ! De supers moments d’échanges inouïs en période de confinement , quoi de plus enrichissant humainement !

Notre rêve …pouvoir aller la retrouver un jour au Guatemala au sein de sa communauté pour rencontrer sa famille et apprécier son travail de formation qu’elle saura conduire auprès de ses pairs .

 

 

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