Julio, la joie de vivre incarnée ! Un engagement presque au berceau !
C’est avec l’œil pétillant et beaucoup de pédagogie que Julio, fraîchement cinquantenaire, nous raconte son « éveil humaniste révolutionnaire ». Cheveux noirs en chignon ou queue de cheval, l’âme de l’aztèque raconte son parcours.
A 14 ans, lors d’une balade à cheval dans la jungle du Chiapas, il se retrouve nez à nez avec un groupe de paysans indigènes au coeur d’ une communauté maya. Invité à s’asseoir autour du feu à leurs côtés, sa curiosité le pousse à découvrir ces hommes et femmes qui vivent pauvrement. C’est le choc quand il réalise qu’il est lui même indigène …première réaction , se refuser à croire la vérité ! Comment lui, Julio issu d’une famille de classe moyenne, 6 frères et sœurs, vivant plutôt confortablement à Tuxtla pourrait être indigène comme ces paysans pieds-nus, pauvrement vêtus … Lui, un ado scolarisé en école privée à Tuxtla … Pourtant sa couleur de peau, son faciès témoignent d’une vérité dérangeante…de retour chez lui, il interpelle scandalisé ses parents … »pourquoi ne m’avez-vous jamais dit que j’étais un indigène ? » « Mais tu n’as jamais voulu l’entendre, tu as toujours refusé de nous accompagner lors de nos rituels annuels dans la forêt … nous sommes bel et bien des indigènes d’origine aztèque Zoqué…. »lui rétorque sa maman…Le papa de Julio était d’une famille très pauvre.
A partir de ce moment-là, Julio se métamorphose, assume ses racines et les revendique même! Affublé d’une besace et de sandales de cuir, le code vestimentaire des indigènes, il brave les regards de ses camarades au lycée. Confronté aux moqueries, des bagarres éclatent jusqu’au jour où on lui reconnait le droit d’ETRE un aztèque! Son gabarit trapu et costaud a eu raison des « blancs descendants d’espagnols »! Et dans la foulée de sa rébellion en quête d’identité, il entraîne à ses côtés d’autres copains d’origine indigéne, tout comme lui. Ils sont le reflet d’une société mexicaine dénigrant la population précolombienne, qu’ils soient d’ethnies mayas Tzeltale, Tzotzile, Cholé ou d’origine aztèque Zoqués. Chaque groupe parle d’ailleurs sa propre langue et un grand nombre balbutie seulement quelques mots d’espagnol, n’ayant pas eu accès à la scolarisation. [/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]
« No seas Indio !» « Ne sois pas un indien »
Dans les années 80, dans les rues de San Cristobal, les indigènes descendaient encore des trottoirs pour marcher sur la chaussée s’ils croisaient un « blanc », c’est à dire un descendant de colon espagnol ! Le temps de l’esclavage est pourtant terminé depuis plus d’un siècle ! Mais toujours pas de réforme agraire au Chiapas… Les riches propriétaires possèdent de grandes étendues de terre et contrôlent une large partie de la main d’œuvre paysanne ou de sa production. Les paysans essaient de faire valoir leur droit pour récupérer un lopin de terre afin d’ y cultiver un peu de maïs et haricots pour se nourrir… une forme d’asservissement moderne …D’ailleurs, il existe toujours des expressions communes du genre « No seas indio !» (Ne fais pas l’indigène! ) adressée à une personne qui fait tomber quelque chose malencontreusement, qui ne fait pas bien ce qu’on lui demande…connotation très négative. Et ce terme est toujours tristement utilisé pour désigner un indigène « acculturé ou déculturé ».
Julio observe de loin les mouvements sociaux qui se créent au Chiapas . Il est encore un ado quand le mouvement zapatiste se structure . Dans les années 85-90, ce mouvement prend de l’ampleur. Dans la clandestinité, les paysans s’engagent pour pour défendre leur droit à un un toit, à la terre, à la santé, à l’éducation…A l’époque, il est malheureusement courant que des personnes indigènes meurent de maladies curables, par manque d’accès à aucun droit social.Cette révolution fait suite aux violences de l’Etat et de la répression envers les paysans. La lutte armée devenait aux yeux des militants zapatistes la seule alternative pour obtenir un morceau de terrain . La majorité «des terres récupérées » ont été réparties sous forme de propriété collective et des communautés se sont formées sur les propriétés des anciens ranchs ou haciendas.
Julio explique comment sa rencontre avec une jeune suisse engagée humanitairement auprès de communautés mayas lui a ouvert les yeux: la couleur de peau n’a effectivement rien à voir avec l’engagement humain. On peut être né européen et désirer s’investir dans l’aide aux communautés mayas. A l’âge de 25 ans, poussé par ses idéaux, par le rêve qu’un Monde Meilleur est possible, Julio s’applique à mettre en œuvre lui-même une organisation avec sa vision personnelle. Son objectif consiste à accompagner les mouvements sociaux indigènes indépendants qui luttent pour leurs droits, ceci dans un esprit pacifique, de dialogue et de négociations avec le gouvernement. Les débuts sont laborieux, tout est à faire. Hélène, celle qui deviendra sa femme le rejoint dans cette aventure . Pour eux, le plus important est de permettre à ces indigènes de connaitre leurs droits pour pouvoir les défendre eux-mêmes. Leur donner la possibilité de se reconnaitre tout d’abord comme êtres humains, comme sujet, les amener à retrouver leur dignité et prendre conscience qu’ils et elles ont tous les mêmes droits que tous et toutes définit l’essence même de Madre Tierra Suisse et Madre Tierra Mexico.
Leurs conditions de vie au sein des communautés sont difficiles et éprouvantes . Leur entourage famille et amis les supportent financièrement dans leurs projets. L’ONG Madre Tierra Suisse et Madre Tierra Mexico voit le jour et se structure au fil du temps. Aujourd’hui Madre Tierra Mexico a permis la formation de nombreux « companeros», ces compagnons tous animés par le même engagement viscéral pour défendre leurs droits de la cause Indigène. «.
Aztèque aux multiples talents
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Nous faisons connaissance de Julio. Quelle histoire de vie fascinante! Quel homme extraordinaire comme nous en avons rarement croisé. Il se définit comme un homme au grand cœur. Le sourire et le rire font partie de son quotidien. Il nous impressionne par toutes les actions entreprises avec son épouse pour l’ONG Madre Tierra .
Le portrait de Julio ne serait pas complet, sans évoquer tous ses autres talents: entre sa maison bâtie de ses propres mains, l’arrangement magnifiquement arboré de leur jardin, l’agencement des petites « cabanas » ou chalets pour accueillir des touristes en Airbnb… il sait aussi bien dessiner, graver, sculpter du bois, travailler le métal, chanter, jardiner, cuisiner, ultra sportif, il peut couper les cheveux, philosopher, dessiner des plans d’aménagement paysagers … la liste est longue …
Un air de famille avec Coartlicue, le Dieu de l’Univers à 4 mains et 4 coeurs!
Rares sont les gens comme lui, qui à la cinquantaine, pouvant affirmer haut et fort que la vie est belle, qu’il est heureux aux côtés de sa femme Hélène , que chaque nouvelle journée est extraordinaire. Et pourtant son engagement au quotidien auprès des populations indigènes mayas lui demande beaucoup de ressources. La tâche est loin d’être facile tous les jours ! Le climat de travail n’est pas vraiment serein. Dans un petit coin de sa tête , Julio a toujours une veilleuse en alerte … il a bien conscience qu’accompagner des hommes et des femmes dans leur émancipation n’est pas forcément approuvé par les forces politiques du gouvernement. Régulièrement malheureusement des companeros se retrouvent derrière les barreaux … Et plus récemment un des dirigeants d’un mouvement social a été assassiné ….
Accompagner les jeunes mayas dans leur émancipation
Sa jeunesse militante lui a certainement permis de se forger d’incroyables compétences humaines. Homme très intuitif, rationnel, il sait accompagner magnifiquement les jeunes indigènes des communautés dans leur “émancipation”. Son humour allié à son charisme lui confère un rôle de grand-frère. Au travers divers exercices, défis, réflexions, analyses, ils les bouscule dans leurs croyances limitantes. Il les amène à retrouver leur estime de soi, à se positionner par rapport à leurs origines, à renouer avec leurs racines, relever la tête, être fiers de leur appartenance à leur ethnie, qu’elle soit popti, toztzil…ou autre. Il questionne leur pratique religieuse héritée de la colonisation. Le christianisme a été volontairement instauré au 18-19 eme siècle avec des valeurs très enfermantes, avec l’idée d’un dieu punissant. Avec le temps, les mayas ont été « formatés » et encore aujourd’hui, cela leur est très difficile de prendre des initiatives par la peur de désobéir.
Quelle prouesse admirable que de pouvoir redonner de la dignité à ces personnes très souvent effacées, situation qui se révèle pire pour les femmes dans cette organisation sociétale très machiste. Julio est un véritable pilier qui reste debout même si cela tangue. Les indigènes mayas peuvent s’accrocher à lui, il sait les guider, les soutenir pour les amener à grandir , sans faire à leur place…l’image d’un père de famille. Julio s’enrichît de nombreuses lectures qui vont de la psychologie, aux organisations sociales , aux structures sociétales, à l’économie, aux religions…Nous passons de longues soirées à questionner le fonctionnement du monde, à confronter nos schémas de pensées issus de cultures très différentes.
Quelle richesse d’échanges !
Nous l’accompagnons sur le terrain dans la communauté de Las Arborés près de la frontière du Guatemala : pour en SAVOIR PLUS (cf. article ). Depuis quelques mois, avec Hélène, ils soutiennent les habitants de ce village maya dans leur développement .
Ce soir-là, au bord de la rivière, assis sur des petites chaises à la nuit tombante, nous assistons aux ateliers de Madre Tierra. Aujourd’hui épaulées par Julio, les deux filles Gloria et Karina animent cette soirée d’échanges. Un parfum d’irréel nous enveloppe. Il est déjà 19h, la nuit tombe. Sous l’éclairage faiblard des petits lampadaires, Gloria pose une série de questions à ces 8 jeunes âgés entre 15 et 25 ans. Les inciter à prendre la parole en publique n’est pas facile. Ils sont invités à se présenter, dire ce qu’ils aiment faire, comment ils voient leur avenir, quelle est leur appartenance religieuse. S’ensuivent des échanges avec nous sur nos propres convictions. Quel privilège de partager ces moments d’humanité !
Au pied de mon arbre…réminiscence ce tradition aztèque?
Que reste t’il de la culture aztèque au 21ème siècle? Même si Julio se considère athée, émancipé de tout carcan religieux, il n’en a pas moins quelques pratiques ou rituels aztèques. Les représentations de serpent envahissent les chemins qui mènent au bureau. Certaines de ces créatures suivent les parapets des petits ponts construits sur leur terrain . Le jaguar incarnant la puissance maya n’est jamais bien loin, de grosses et magnifiques sculptures à l’échelle 1 nous rappellent au détour du jardin la force bienveillante de cet animal noir que nous avions eu la chance de croiser bien vivant à Calakmul!
Le plus symbolique à nos yeux reste l’Arbre dédié à ses parents. Au milieu de drapeaux blancs, verts, bleus, jaunes aux couleurs des éléments, un bel arbre s’élance vers le ciel. A la base du tronc les photos du papa et de la maman de Julio sont collée sur une pierre. Leur large sourire laisse penser qu’ils puisent leur énergie dans les racines de leur tuteur. Julio a aménagé joliment ce petit coin de recueillement avec des bancs. Des petites poteries usées par le temps, supports de bougies s’étalent nonchalamment au pied de l’arbre majestueux… Coarticue, dieu aztèque de l’univers veille sur l’endroit. Régulièrement Julio vient faire une pause à leurs côtés. Et une fois par an, à l’occasion de la fête des morts, il prend le temps de s’asseoir plus longuement pour leur raconter l’année écoulée, avec son lot de difficultés et réussites…. Un temps de rétrospective pour lui même, comme si ses parents l’incitaient à regarder dans le rétroviseur de la vie pour se sentir grandi d’une telle introspection. L’idée est séduisante et bien plus conviviale à vivre que dans un cimetière.